• Julie et Catherine

     

    (Personnages pittoresques, nés il y a deux siècles. Elles ont vécu toute leur existence dans le même village valaisan. (Faits réels, romancés par votre servante. Texte protégée par un copyrigh.)

     

    À l’heure du thé  Julie et Catherine

     

    C’est un jour de grand soleil qui embrase le pays tout entier. Une de ses journées de juillet ou il fait bon rester à flâner à l’intérieur des maisons. Pourtant, dans les prairies qui entourent le  village, les fenaisons vont bons trains. Les paysans ont entamé les travaux de fourrage. Le tintement de la cloche à l'église du village, laisse échapper quatre coups, elle semble ralentie comme si la chaleur l’éprouvait, elle aussi. Le morbier de Julie presque en écho, marque à son tour l’heure.

    Quatre heures déjà !

    Julie se réveille d’un bon, comme si l’horloge de par ses coups, l’avait bousculée. La vieille femme malgré ses membres endoloris,  pose ses pieds sur le plancher. Avec peine, elle se baisse et enfile ses bottillons à talons plats, remet son fichu sur sa tête et, d’un geste lent et précis, cache les mèches grises et rebelles qui dépassent encore du bout de tissu. Elle se lève et s’approche du broc qui prône sur sa commode… Elle goûte l’eau qui s’y trouve du bout des lèvres, convaincue de sa fraîcheur, elle s’octroie une grosse gorgée à même le pot. Puis se retourne et se dirige vers sa table de chevet, prend son vieux porte-monnaie de cuir noir autour duquel un gros élastique empêche une ouverture inopinée, sur le précieux contenu. Julie s’avance vers la lourde porte faite de panneaux de bois. L'aïeule a pour habitude de s'enfermer à double tour, à l'aide de ses deux mains, elle tourne la grosse clé dans la serrure. Après avoir refermé la porte derrière elle, d’un pas décidé elle se dirige vers la maison voisine, héler son amie Catherine. Elle joint le geste à la parole, en frappant sur un carreau de la fenêtre. A l’intérieur,  rien ne bouge. Julie franchi trois marches et frappe du poing contre la porte.

     Eh Cathrin, t’â fruni dè drùmi ? Eh Catherine, t'as finir de dormir ?

    "Entre elles, les deux amies parlent le patois, franco-provençal. L’orthographe des mots en dialecte ne sont pas garanti par l’auteur, moi hi."

    Catherine brusquement réveillée répond à cette opportuniste sur un ton excédé.

    - Oué t’é âoui Te fô pa tan jappa. "Oui, j’ai entendu, Te faut pas tant japper." (Faire du chahut)

    Si Julie a de bonnes jambes et une allure de matrone, il ne va pas de même pour sa mémoire. Parfois il lui arrive de se rendre au magasin du village et une fois sur place, elle oublie la raison de sa venue dans l’établissement. Elle ne l’avouera pas et préfère donner le change en achetant soit un paquet de bonbons ou des cornettes pour mettre dans la soupe. De plus en plus, notre amnésique  fait confiance à son amie et confidente, Catherine. Elles ont en commun leur âge, toutes deux octogénaires et rescapées des épidémies de grippe, des accidents  dû aux travaux éreintant de la vigne et autres malheurs qui touchent les gens de la campagne. Catherine est au courant de tout ou presque sur les allées et venues des habitants de son quartier. Elle lit son journal chaque jour, en commençant par la rubrique nécrologique. Car se plait-elle à dire non sans humour : On ne sait jamais, si une fois je vois mon nom et ma photo ! Recroquevillée sur sa canne elle avance difficilement, le rhumatisme à fait d'elle une petite femme fragile. La vie avec son lot de labeurs ne l’a pas épargné.Derrière sa fenêtre, elle passe la majorité de ses journées à guetter les passants, elle n’ose guère s’aventurer au dehors sans aide. Quand Julie vient frapper chez elle, malgré ses douleurs et son caractère bougon, à chaque fois elle répondre par l’affirmatif... à son amie de galères. 

    Les habitants du quartier disent volontiers  que :

    "L’une à sa tête, l’autre les jambes."

    On ne sait pas si Julie est un modèle de bienveillance ou si c'est une excuse pour se rendre au café du coin. Julie et Catherine sont d'un autre temps et en ce temps-là, la femme ne se rendait jamais dans un établissement public non accompagnée. Et encore, si cela arrivait qu’un homme invita sa femme ou sa sœur, cela gavait les commères outrées, durant plusieurs jours. Le lieu était réservé aux hommes ou aux filles de petites vertus. Depuis, les mœurs ont changé et les deux amies s'y rendent parfois comme on se rend à un pèlerinage. Catherine se cramponne de sa main droite sur la canne et de l’autre, au bras de la solide Julie. Le verbe aiguisé, elles font des commentaires sur ce qu'elles voient. Ici une barrière écornée, là un potager envahi par des mauvaises herbes. Parfois, elles échangent quelques mots avec les badauds, ces derniers toujours amusés d'apercevoir le couple. Des minutes qui sont des moments de bonheur que vivent nos aïeules.

    A cette heure, les rayons du soleil  embrassent la rue déserte du bourg, la populace est aux champs ou, se repose encore derrière les volets clos. Clopin-clopant, elles avancent dans la rue terreuse, quand tout à coup Catherine sens son souffle faiblir, elle tire sur le bras de sa compagne et, se servant de sa canne indique un petit muret à l’ombre d’un cerisier. Jusque-là,  la chaleur étouffante ne les a pas incitées à échanger un mot. Julie d’un coup de revers de manche, essuie son front mouillé par la sueur. C’est pourtant Catherine encore essoufflée qui rompt le silence.

    - Quinta tsalour por l’amour dè dio. Y a nion, chon tui dinto trailla.  "Quelle chaleur pour l’amour de dieu. Y a personne, ils sont tous au travail."

    Depuis leur reposoir, elles aperçoivent comme un lac qui scintille au milieu de la place asphaltée. Le mirage s’avance jusqu’au café du village. Aucun arbre, aucune ombre sur au moins deux-cent mètres, un petit calvaire pour nos deux amies. Avec courage et détermination, elles se remettent en marche sur la route caillouteuse.

    Arrivée à destination, les aïeules s'installent à l’ombre sous le grand mûrier à fruits noirs. L’arbre étale sa végétation sur la petite place jusqu’à l’entrée du café. Celui-ci est désert, Béatrice la serveuse ne tarde pas à s’avancer pour prendre la commande.

    Elle est jolie dans son tablier de soubrette et ses cheveux blonds torsadés en chignon sur sa tête.

    - Bonjour mesdames, vous désirez ?

    - *Adieu, Béatrice. dit Catherine

    - Adieu Béatrice. dit à son tour Julie. Mais cette dernière est inquiète. Se tournant vers son amie, elle dit :

    - On va boire quoi ?

    Catherine jette un regard sévère à sa voisine, comme on le fait à un enfant.

    - Comme d’habitude, tu sais bien !

    Puis s’adressant à Béatrice, d’autorité Catherine confirme le vœu de ne pas changer les habitudes. C’est en effet une manie et une exigence que les vieilles dames ont depuis toujours. Par discrétion et fierté, elles se font servir dans une tasse à thé, du vin rouge coupé avec d’un peu d’eau. Servi chaud en hiver pour mieux les réchauffer, en espérant ainsi ne pas attirer l’attention d’éventuels curieux. C’est secret de polichinelle et quand l’établissement est bondé, tout le monde s’en amuse. 

    La serveuse allait s’en aller quand elle se ravisa. Connaissant le caractère parfois belliqueux de ses deux clientes. Elle prend son courage à deux mains et, sur un ton enjôleur, leur lance :

    - Ne pensez-vous pas qu’avec cette chaleur…euh, il vaudrait mieux boire quelque chose de plus léger ?

    Catherine est agacée par cette petite effrontée et lui répond tout de go.

    - On n’est pas venu ici pour boire de l’eau ! Deux thés comme d’habitude et bien corsés s’il vous plaît

    Par cette chaleur, Béatrice craint pour les deux amies. Aujourd’hui, la finaude à pour dessein de tromper les vieilles dames, sans que les intéressées s’en aperçoivent. Je vais les satisfaire, pense-t-elle, en leur servant une boisson de mon cru. Dans le fond d'une tasse en verre, elle verse du sirop de framboise, y ajoute une rasade d’eau et complète le tout avec le vin rouge. Après avoir observé la couleur du breuvage, et dégusté à la petite cuillère, Béatrice s'en va servir les deux amies. 

    -A votre santé, mesdames !

    Béatrice s’éloigne aussitôt et se cache pour voir leur réaction. Julie porte la tasse à ses lèvres, déguste et la repose devant elle. Béatrice pouffe en silence dans son coin, elle ne croit pas ses yeux. Pourtant, la maligne ne mène pas large, elle sait que Julie n’a pas tout son discernement. Quand bien même, elle lui servirait un simple sirop qu’elle ne sentirait peut-être pas la différence. Pas rassurée, la serveuse ne quitte pas des yeux le verre posé devant Catherine. Cette dernière s’exécute à son tour et avale à son tour une grande quantité du liquide. L’ancêtre dépose sa tasse sur la table et se met à crier !

    - Mademoiselle Béatrice s’il vous plait ?

    L’interpellé se sent pris au piège, elle accourt et se confond en excuses.

    - Excusez-moi, je n’ai pas voulu…

    Catherine ne lui laisse pas le temps de terminer sa phrase.

    - Vous pensez mettre l’argent dans votre poche, n’est-ce pas ?

    - Euh non, madame. Mais nous avons changé de fournisseur et… ?

    - Que ce soit un fournisseur ou un autre ça nous est égal. C'est le ticket qu'on veut.

    La jeune fille reste bouche bée surprise, elle qui croyait être démasquée. Prise de court, elle bafouille…

    - Euh…ah ouiii…C’est qu’aujourd’hui, je vous offre la tournée, voilà tout.

    Catherine surprise à son tour, la gratifie d’un large sourire.

    - Ah, mais c’est très gentil ça ma fille, merci. Un thé comme on aime à déguster à l’ombre, hein Julie, on joue les grandes dames !

    - Julie acquiesce tout en sirotant…le sirop de framboise.

    ***

    * "Adieu" est mot qui nous vient du patois/franco-provençal qui se disait comme aujourd'hui on dit "Salut"  Le bonjour ou "Bonzo" s'adresse plutôt à une personne plus importante ou un jeune à un adulte. A un groupe de personnes on dira : bonjour à tous et toutes  "Bonzo à tuî é totâ"

    Juin 2015 M-BB

     Julie et Catherine

     

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